La galerie Arcima présente
Christine Madoyan et Catherine Baud
du 14 au 27 mai 2012
Tout n’est que lignes dans des espaces clairement définis qui semblent se prolonger à l'infini. L’œuvre de Christine Madoyan est celle où règne le dessin, réalisé à la pierre noire, qui est ensuite transféré puis marouflé sur toiles. Le dessin appelle fréquemment une autre composition comme s’il contenait en lui-même une forme d’inachèvement. Sans doute est-ce pour cette raison que le dessin a été confondu pendant longtemps avec l’esquisse, le croquis, l’étude préparatoire. Il obtient désormais ses lettres de noblesses en étant un genre à part entière.
Le dessin semble plus immédiat qu'un autre mode de figuration à cause de la radicalité de son expression. Il provoque une sorte de dépouillement sensoriel, comme si toute l’énergie résidait dans le trait qui construit l'espace et définit les volumes. Même l'ombre et la lumière naissent du trait par un système de hachures plus ou moins dense et par la variation de son épaisseur. Christine Madoyan mixte cette technique classique du dessin avec celle du transfert. Le procédé de transfert assure une plasticité particulière car il dilue parfois le trait en des nuances de gris subtiles, voire des coulures. Le trait se fait moins abrupt même s'il garde une densité et une certaine finesse dans la justesse des perspectives.
Les paysages urbains sont un sujet de prédilection dans la création de l'artiste. Mais il ne s'agit pas de n'importe quel lieux : ce sont de préférence des friches urbaines ou des zones en constructions, tels que Les Moulins de Pantin, l'usine Clairefontaine proche du canal Saint-Martin à Paris ou encore « Les Frigos » à côté de la nouvelle Bibliothèque Nationale. Ces lieux sont le témoignage d’une activité humaine passée prête à être engloutie dans un magma urbain régénéré par les constructions d'où les grues présentes dans certaines de ses œuvres. Pour l'artiste, ces chantiers urbains sont similaires à une ouverture, une respiration dans la ville.
Chaque œuvre forme des diptyques ou des triptyques dont les parties ne sont pas de tailles identiques. Une œuvre peut être constituée d'un petit et d'un grand format, ce qui introduit une discontinuité visuelle dans le paysage urbain. Ainsi l'adjonction de deux ou trois toiles marque une volonté de continuité afin de créer une vision quasi panoramique de l'espace tandis que le changement de format au sein d'une même œuvre introduit une discontinuité. Cette rupture dans la volonté rationnelle d'une mise en ordre de l'espace est le signe de la présence de l'arbitraire humain. Ordre et désordre, présent et passé sont au cœur de sa création et prennent une ampleur universelle avec la dernière thématique que travaille l'artiste, l'arbre. Généralement, l'arbre est une figure de transcendance en étant issu de la terre nourricière par ses racines alors qu'il se déploie dans les airs, tourné vers le ciel. Mais chez Christine Madoyan, l'arbre est représenté allongé comme si le haut et le bas – racines et cimes – passé et présent – étaient équivalents. L'ordre habituel est perturbé afin de permettre une nouvelle organisation spatiale, sensible et humaine.
L'art de Catherine Baud est multiple, divers et hétérogène sans pour autant céder à l'éclectisme. De la peinture, à la sculpture au collage et à la mosaïque, l'artiste joue sur les idées de rupture et de continuité plastiques et graphiques dans une sobriété de tons et de nuances faits d'ocres et de gris. L'univers plus structuré de ses « bibliothèques » traitées dans ses peintures acryliques laisse place à la spontanéité du geste pictural dans ses encres.
Cette série d'encre sur papier exposée à la galerie Arcima est sans doute plus confidentielle que le reste de sa production picturale montrée fréquemment en galeries et salons. Elle n'en demeure pas moins essentielle dans la création de l'artiste. Basée sur le geste, l’œuvre dépend de la justesse de l'expression et de la répartition de l'encre qui n'admet aucun repentir, aucune retouche lors du processus créatif. Ses œuvres livrent des univers souvent abstraits, des paysages imaginaires où parfois on peut déceler une présence humaine à l'allure énigmatique. Parfois ce sont des silhouettes qui s'agglutinent dans l'espace formant des masses sombres. Son oeuvre prend forme grâce à une perception intuitive et intériorisée de l'espace. Ces paysages sobres et aériens se construisent et se défont dans une configuration indéfinissable et surprenante. La perspective est mouvante, voire atmosphérique, en raison des dégradés de l'encre. Dans un souci d'équilibre juste des blanc et des noirs, les gris se déclinent en d'infinies subtilités et nuances qui sont créatrices d'un espace évanescent. L'artiste joue sur les tensions dues au geste. Dans certaines œuvres, il règne un calme apaisant tandis que dans d'autres un mouvement fulgurant imprime la puissance sous-jacente d'un devenir qui peut bouleverser l'espace.
Dans une certaine mesure, Catherine Baud renoue avec sa passion pour l'écriture souvent présente dans ses œuvres picturales. Ici nul collage de coupures de journaux. Il est plutôt question de l'exploration plastique de la calligraphie. En effet, dans ses encres, l'écriture n'est plus lisible car elle est libérée par le geste créateur pour se donner comme valeurs spatiales. Dans certaines œuvres, l'encre est laissée à elle-même et s'épanche franchement sur le papier laissant de multiples coulures. Elles envahissent plus ou moins l'espace, le structurent en formes quasi organiques qui se liquéfient progressivement.
Ses encres possèdent un pouvoir d'effacement comme si l'apparition et la disparition étaient détenues par le papier lui-même. L'encre et le relief du papier deviennent des agents graphiques qui s'expriment entre force et silence. L’œuvre se construit par le vide à la recherche d'un équilibre et d'une harmonie à la puissance évocatrice. A l'extrême, le noir envahit tout l'espace provoquant une densification où la lumière se fait rare. De cette tension du plein et du vide naît un mouvement énigmatique qui interpelle le spectateur et l'invite à la contemplation d'espaces imaginaires pourtant bien réels.
Véronique Perriol, directrice artistique.
Catherine Baud
Christine Madoyan